
Après “le voyage de la mort”, les Terrasses de Briançon offrent un répit aux exilés

Le nouveau refuge est ouvert depuis août 2021 pour l’accueil des personnes exilées. Briançon, le 25 janvier 2023. Crédit : Valentina Camu
Entre ses mains courtes et épaisses, Mourad* s’allume une cigarette, le corps assis sur un petit banc en bois. Le toit de la terrasse où il se trouve a une vue incomparable : des sommets enneigés, un soleil si lumineux qu’il en devient agressif pour les yeux, très haut dans le ciel bleu.
Derrière la beauté apparente, ce Tunisien connaît l’hostilité de ces montagnes séparant l’Italie de la France. Il y a deux nuits, il a tenté de les traverser, avec un petit groupe d’exilés. “Je suis tombé dans l’eau, jusque là” – ses doigts indiquent le milieu de son torse. Le soir venu, les températures sont négatives. L’eau, glacée. Mourad a pourtant réussi à remonter, dans la neige, et à se remettre à marcher, marcher encore. A ses côtés, une autre exilée peine à avancer. “Je pensais tout le temps à cette dame, je me suis dit : elle va mourir, elle va mourir”.
Et puis non. Son petit groupe est arrivé ici, aux Terrasses Solidaires. Le nouveau refuge de Briançon ouvert en août 2021, depuis que l’ancien a été fermé par la mairie, ne désemplit pas. Même en cette saison, au cœur de l’hiver.
Alors que ce nouveau refuge est dans les hauteurs de la ville, l’ancien local, demeure en contrebas. Mais l’accès en a été condamné. La mairie avait refusé de renouveler sa convention d’occupation. Les allées et venues incessantes, les jeunes improvisant un football devant son entrée, la fenêtre grande ouverte sur le linge étendu dans le couloir, ne sont plus que des images du passé.

À l’étage, le dortoir est bien plus large que celui, exigu, du refuge précédent ; les exilés ont régulièrement une chambre individuelle, ou en duo. La salle commune, dont le sol vient d’être fraîchement nettoyé et qui sert de réfectoire, est traversée de part en part par la lumière du dehors.
Le refuge actuel est prévu pour loger 65 personnes. Si la jauge est débordée, des voisins solidaires prennent le relais : “nous avons une vingtaine de familles prêtes à accueillir pour quelques jours”, explique Max Duez, ancien chirurgien et bénévole bien connu des Briançonnais, aujourd’hui membre du conseil d’administration de Refuges Solidaires. En 2021, 8 000 exilés sont passés : débordées, les équipes de l’association avaient interpellé publiquement l’État en octobre. En 2022, comme en ce moment, “on est plutôt sur 4 000 à 5 000 personnes sur l’année”, indique Jonathan Mounal, l’un des coordinateurs des Terrasses.
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La semaine de notre visite, 39 exilés se trouvent aux Terrasses. “Nous n’avons jamais refusé du monde”, soutient Jonathan Mounal. “À partir de 70 personnes, on occupe la salle du self en guise de dortoir. Au-delà de 80, on fait appel aux hébergeurs solidaires”. Officiellement, la durée de séjour est de trois jours. Les exilés, la plupart du temps, ne sont là que de passage : personne ne s’éternise dans cette cuvette entre les montagnes. “Mais après, cela reste du cas par cas”, nuance Jonathan Mounal : “certains restent davantage, parce qu’ils sont dans un trop grand épuisement moral, ou blessés, ou parce que ce sont des mineurs isolés”.
Sept salariés travaillent à temps plein pour assurer la gestion quotidienne. Max Duez indique que le budget de fonctionnement, de “450 à 500 000 euros par an” repose sur des dons d’ONG : “Caritas, Emmaüs, la Fondation Abbé Pierre”… . “L’État ne nous fournit rien, tandis que la mairie dit que c’est le problème de l’État”, soupire-t-il. Dans la cuisine, des baguettes s’entassent, offertes par les boulangers du coin. 200 000 repas y ont été préparés depuis l’ouverture des Terrasses. Le garde-manger est rempli, lui, de dons provenant du Secours Catholique et des habitants de Briançon : légumes, potirons, et des bocaux de riz par dizaines.